Inventées il y a une vingtaine d’années en Bretagne, les Kerterre, maison de chanvre et de chaux, se comptent aujourd’hui par dizaines en France. Un habitat facile à construire, peu onéreux et respectueux de l’environnement.
Dans le hameau de Lanvénaël, à la pointe du Finistère, difficile de trouver les Kerterre. Ces petites maisons rondes sont dissimulées dans la végétation. Hautes herbes, buissons proéminents, arbres fruitiers, forêt dense… Une jungle bretonne dissimule ces habitations qui ne sont pas sans rappeler les maisons de Hobbits. Ronde, lisse et blanche, la Kerterre se fond dans le paysage, tel un gros rocher. Elles ont été élaborées et perfectionnées par Évelyne Adam au fil des années : ” La mémé Kerterre a 20 ans, présente celle qui est à l’origine du cendre de formation. Un jour, quelqu’un m’a donné du chanvre , directement sorti du champ. J’ai trempé la plante entière dans de la chaux mélangée avec du sable [donnant une sorte de liane collant] et j’ai construit un premier igloo grâce à cette technique, comme avec de la pâte à modeler, sans besoin de structure “. En séchant, le mélange de chaux et de sable cabonate et redevient dur comme pierre
Evelyne Adam n’a pas inventé l’alliage de chanvre et de chaux, mais elle a innové en utilisant la plante entière, non défibrée (lire l’encadré). Cette matière permet de sculpter des maisons sans avoir besoin d’ossature : ” J’ai aussi essayé de faire une Kerterre en argile, se souvient Évelyne Adam, mais si elle prenait l’eau, sans armature, elle s’écroulerait. La construction en chanvre et chaux est plus solide. “

Solide et peu coûteuse
Effectivement, la “mémé” Kerterre n’a rien à envier aux plus jeunes… Aucune ride ne fissure sa surface lisse. Son skydôme – la vitre demi-sphérique qui offre un puits de lumière dans la maison – est toujours bien accroché. Il est en polycarbonate, un plastique peu réputé pour ses vertus écologiques mais qu’Évelyne Adam a préféré au verre pour ses qualités thermiques et sa durabilité. Une attention particulière est portée à l’origine des matières premières : chanvre, sable et chaux sont français ; vitres et portes sont réalisées sur-mesure par des artisans locaux. Il faut compter environ 2500 € pour la structure complète (comprenant murs et ouvertures) d’une Kerterre de 5m de diamètre.
Afin d’apprendre ces techniques de construction, des stagiaires se déplacent plusieurs fois par an sur le lieu de formation : ” On pose les fibres de chanvre, trempées, les unes sur les autres et on essore la plante “, explique Fabienne. Cette stagiaire, venue de Belgique, s’applique à intégrer une sphère de verre colorée dans un mur. ” Il faut que les fibres de chanvre s’entrelacent et que l’air, utile à l’isolation, ne sorte par. En trois semaines de pratique, sans avoir besoin de beaucoup de matériel, on peut faire une petite maison écologique “, se réjouit-elle en massant le chanvre jusqu’à ce que le mélange de sable et chaux commence à se solidifier. La Kerterre se construit effectivement à la main, pas besoin de bétonnière ni de gros outils. ” J’avais l’idée de créer un habitat facile à faire pour femme, explique Évelyne Adam. Ce sont toujours les hommes qui ont construit les maisons. Grâce à la Kerterre, les femmes se réapproprient leur chez soi. “
La féminité fait d’ailleurs parties de l’essence même de la Kerterre ou plus particulièrement un concept qu’Évelyne Adam nomme la “Touslessens” : ” Un principe féminin qui caractérise la capacité des femmes à tout voir dans son ensemble et à faire plusieurs choses en même temps. Il faut que nous assumions que, parfois, notre esprit part dans tous les sens. Les hommes estiment souvent que c’est n’importe quoi, parce que pour eux, c’est la rectitude qui importe. Il faut que tout soit droit, carré, bien mesuré, avec des plans… Alors que la Kerterre n’est pas prévisible à 100%, même s’il y a une part de rectitude dans le fait que les portes et les fenêtres sont faites sur-mesure. “

Construire en fibre de chanvre, une technique marginale
Si Évelyne Adam utilise l’intégralité de la plante de chanvre, ce n’est pas l’option utilisée et recommandée par les professionnels de l’association Construire en chanvre ” la fibre de chanvre, comme tous les végétaux, contient beaucoup de sucre, précise Quentin Pichon, consultant technique de l’association. Ce sucre perturbe la prise de la chaux. Il est possible d’utiliser la fibre sur des murs de 5 à 10cm, mais avec une plus grande épaisseur, l’intérieur du mur risque de ne pas se solidifier et rester sous forme de sable. ” D’où l’utilisation de la chènevote, le chanvre défibré. Sa première utilisation remonte à 1986, par le maçon Charles Rasetti. Après plus de dix ans d’expérimentation, l’association Construire en chanvre naît en 1998 pour réglementer ces nouvelles techniques de construction et homologuer des couples de liants-granulats ; si la chènevotte est utilisée pour créer du béton de chanvre, les types de chaux diffèrent en fonction de l’usage souhaité. Évelyne Adam, par exemple, utilise de la chaux hydraulique 3,5, adaptée aux constructions extérieures ou aux pièces humides. Mais l’usage du chanvre non défibré ne fait pas partie des règles professionnelles de la construction en chanvre
Sculpture ou maçonnerie?
En effet, à voir les stagiaires s’appliquer à la construction, on comprend que cela relève davantage de la sculpture que de la maçonnerie. Les murs sont des entrelacements de plants de chanvre non transformés, collés les uns aux autres grâce à la chaux. La forme arrondie s’impose d’elle-même car les lianes gluantes peuvent difficilement former un angle droit. Une véritable pâte à modeler longiligne qui permet de réaliser des murs incurvés. ” Le mélange de sable, de chaux et d’eau varie aussi selon la température de l’air et l’avancement de la Kerterre, complète une formatrice. Les mèches de chanvre bougent, ce n’est pas de la brique. ” La théorie se vérifie dès que les stagiaires posent le socle de la porte : du béton de chanvre avec du gravier pour l’écoulement de l’eau, intercalé d’ardoises afin d’éviter que l’humidité ne remonte sur les murs. Une technique employée sur toute la base de la Kerterre, mais qu’il faut rehausser au niveau de l’ouverture principale. Les hommes s’agacent que les femmes n’utilisent pas de niveau, ne veuillent pas nécessairement mesurer. Les formatrices ont l’habitude de ces réactions. La construction de la Kerterre n’est, certes, pas millimétrée, mais pour l’instant, aucune d’elles ne s’est effondrée.
Ronde comme la terre
La souplesse du chanvre fait aussi sa force lorsqu’il s’agit de construire en rond : ” C’est la forme la plus logique qui soit en matière de construction, estime Évelyne Adam. Le rond est plus résistant car les forces sont mieux réparties “. Comme la planète, la Kerterre se veut ronde pour être connectée au vivant. Ker, en breton, signifie “maison ; Kerterre peut donc se traduire par “maison liée à la Terre”. Au sol, pas de dalle en béton mais un épais matelas de chanvre d’une vingtaine de centimètres d’épaisseur : ” C’est important d’être en lien direct avec l’énergie de la terre, précise Évelyne Adam, surtout à l’heure où l’humanité vit de plus en plus hors-sol “. Le soir, les habitants se plaisent à observer les étoiles à travers le skydôme, en écoutant le bruit du feu craquer dans la cheminée. Un bassin de récupération d’eau de pluie permet de se laver grâce à un système de phytoépuration. L’air circule librement, par des trous d’aération et les vitres laissent pénétrer la lumière en abondance. Des arbres et des plantes grandissent naturellement dans la maison. ” Habiter la Kerterre permet de découvrir d’autres rapports aux éléments naturels, précise Évelyne Adam. Je me chauffe au bois mort de ma forêt. J’utilise les cendre pour laver mes vêtements, et beaucoup de plantes de mon jardin, comme le gaillet gratteron qui fait office d’éponge. Ce n’est pas de la sobriété, au contraire ; en habitant en Kerterre depuis dix-sept ans environ, j’ai retrouvé une abondance de temps et de liens avec la nature, tout en conservant un certain confort moderne grâce à l’électricité du panneau solaire. Je passe moins de temps à faire le ménage, mais je continue à pouvoir regarder des films… Aller vers la nature ce n’est pas aller vers la décroissance. Au contraire, c’est marcher vers l’abondance et vivre en Kerterre me permet d’avoir un impact bonifiant sur l’environnement. “
Dômes habitables
Mais la Kerterre est encore loin de remplir nos lotissements car elle est considérée non pas comme une habitation mais bien comme une sculpture. Il n’est donc pas possible d’obtenir un permis de construire pour une Kerterre. Les personnes qui les habitent actuellement profitent du vide juridique selon lequel il n’est pas interdit d’habiter une œuvre d’art. ” Je sais que deux personnes ont obtenu des accords écrits, signés par les communes pour construire des Kerterre “, précise Évelyne Adam, pleine d’optimisme et qui continue à mener des actions pour obtenir l’autorisation de ces constructions dans les règles. Les Kerterre du futur ? Elle les voit ” belles, comme des minicathédrales, toutes sculptées. On ferait des Kerterre avec plusieurs dômes, des Kerterre-cinéma, des Kerterre-sauna… Des Kerterre où l’on profitera de tout ce quon a inventé de magnifique, mais plus connecté à la terre “.
Texte de Marion Paquet
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